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Pourquoi il faut lire... Henry Morton Stanley

Dernière mise à jour : 23 août 2021



Couverture du livre "A la recherche de Livingstone"

On voit aujourd'hui à Ujiji (Oujiji), quelques kilomètres au sud de Kigoma, dans l'actuelle Tanzanie, derrière de hautes herbes jaunes et sèches au bord des eaux très bleues du lac Tanganyika, le lieu où fut prononcée la phrase la plus célèbre de ce récit, le 10 novembre 1871, à l'ombre d'un manguier, ce lieu où l'on but le champagne chaud que Stanley avait trimbalé pendant tous ces mois depuis la côte de l'océan Indien : il venait de remplir avec succès la mission que lui avait assignée deux ans plus tôt James Gordon Bennett Jr, le directeur du "New York Herald", il venait de retrouver l'explorateur et missionnaire écossais David Livingston, le découvreur du Zambèze, égaré en Afrique centrale, et dont on était sans nouvelles depuis plusieurs années.

Non loin du petit monument commémoratif érigé là, un très modeste musée présente quelques photographies en noir et blanc de Stanley et de Livingston, ainsi que les statues en carton-pâte polychrome des deux hommes. Celui qu'on voit levant sa casquette pour saluer, au moment où on le suppose prononcer la phrase célèbre, a tout juste trente ans. Et sa vie jusqu'à présent fut déjà mouvementée.

Né sous le nom de John Rowlands en pays de Galles, il s'est embarqué comme mousse à destination de l'Amérique, comme avant lui le jeune Jules Verne. Mais, si le père de celui-ci vient en hâte récupérer son fils à la première escale, John Rowlands, lui, est orphelin de père, abandonné aussi par sa mère, et personne ne se soucie de lui. Il deviendra commis d'épicerie dans l'Arkansas, soldat pendant la guerre de Sécession, ouvrier agricole, marin, puis journaliste sous le nom de Henry Morton Stanley. Le courage physique ne lui fait pas défaut. Il couvre les guerres indiennes, accompagne les chariots d'émigrants vers le Far West. Son talent est remarqué et son ascension fulgurante, du "Missouri Democrat" au "New York Herald". Le voilà grand reporter. On l'envoie couvrir les guerres d'Abyssinie et de Crimée. Celui qui se vante de vivre à la vitesse des trains et des navires à vapeur gagne la Turquie, l'Iran, l'Inde, embarque pour l'île de Zanzibar où il organise son expédition, recrute les hommes, débarque sur le continent à Bagamoyo, et marche vers l'ouest en cherchant les traces de l'explorateur disparu, lequel, après qu'il l'a enfin retrouvé à Ujiji, le remercie, mais lui annonce son intention de demeurer en Afrique.

Rencontre de Stanley et Livingston

Stanley pourrait aussitôt rebrousser chemin, aller cueillir ses lauriers et publier son papier. Pendant cinq mois, la fascination réciproque et l'amitié vont aimanter le vieil Ecossais et le jeune Gallois. Celui-là, qui n'était encore que journaliste, devient ici explorateur. Les deux hommes naviguent en pirogue sur le Tanganyika en direction du nord et du Kivu. Ils veulent savoir si l'immense lac de cinq cents kilomètres de long sur cinquante de large ne verserait pas ses eaux dans les eaux du Nil, et cherchent un déversoir près de l'actuel Uvira. C'est un échec, et Livingston raccompagne Stanley jusqu'à Tabora, lui remet quelques lettres qui doivent attester leur rencontre, lesquelles ne suffiront pas à éviter les soupçons de supercherie qui entoureront la publication de "How I Found Livingston" : on ne prend pas encore au sérieux, chez les lords de la Royal Geographical Society, ce reporter américain à la Rouletabille.

Pourtant, maintenant, sa vie ce sera l'Afrique, le rêve de couvrir d'encre ce grand blanc inconnu au coeur du continent. Stanley est de retour à Zanzibar trois ans plus tard. Rassemblant cette fois les fonds du "New York Herald" américain et du "Daily Telegraph" de Londres, il veut être le premier à descendre jusqu'à son embouchure le fleuve que Livingston appelait Lualaba. L'Ecossais est mort à Chitambo en 1873, et ses amis africains ont enterré son coeur au pied d'un arbre, transporté à dos d'homme sa dépouille à la côté pour la remettre aux Anglais. Le Lualaba de Livingston est bien le fleuve Congo. L'immense fleuve limoneux draine une région aux dimensions du sous-continent indien. 999 jours après avoir quitté Zanzibar, et parcouru plus de 12 000 kilomètres, Stanley et ses 115 survivants sur les 366 qui l'accompagnait au départ atteignent Luanda en Angola, sur la côte atlantique. Stanley vient de traverser l'Afrique équatoriale de part en part, de l'est vers l'ouest. C'est le début de la grande course avec Savorgnan de Brazza, laquelle aboutira à la prolifération des Congos, aujourd'hui Congo-Brazzaville et Congo-Kinshasa.

L'annonce dans le "New York Herald" du succès de Stanley

Stanley est alors l'un des hommes les plus célèbres du monde, parcourt la planète pour y donner ses conférences. Jules Verne, qui déjà s'était inspiré de lui dès 1872 pour inventer le personnage de Phileas Fogg dans "Le tour du monde en quatre-vingt jours", écrit les exploits de Stanley dans "Un capitaine de quinze ans", son grand roman anti-esclavagiste publié en 1878. Et dix ans plus tard, Stanley au faîte de sa gloire remet en jeu toutes ses plaques sur le tapis vert : les djihadistes du Mahdi se sont emparés de Khartoum, ont coupé en deux le royaume du khédive d'Egypte, décapité Gordon et promené en ville la tête de l'Anglais au bout d'une pique. Stanley repart.

La guerre interdit toute navigation sur le Nil, et tout au sud la province égyptienne d'Equatoria, quelque part dans l'actuel Ouganda, ou l'actuelle Centrafrique, est isolée du monde. En Angleterre, la presse s'enflamme : il faut sauver le dernier lieutenant de Gordon, le juif allemand Schnitzler, devenu Emin Pacha, à la tête de maigres troupes égyptiennes et soudanaises, d'une nombreuse population civile démunie, de secrétaires turcs et coptes, et de son second, l'aventurier italien Gaetano Casati. Voilà de nouveau Stanley à Zanzibar.

Après avoir contourné le cap de Bonne-Espérance, l'expédition débarque à l'embouchure du Congo, se met en marche vers le nord et puis l'est, franchit la forêt inconnue de l'Ituri en direction des Grands Lacs. Il faudra aux survivants plus d'un an et demi pour établir le contact avec Emin Pacha, qui se souviendra en souriant d'être venu au secours de ses sauveteurs. Dix-sept ans après avoir bu le champagne chaud à Ujiji sur les bords du lac Tanganyika avec Livingston, on boit le champagne chaud sur les bords du lac Albert avec Emin Pacha. C'est plus de deux ans après avoir quitté Londres que Stanley rejoindra la côte à Bagamoyo, puis Zanzibar, accompagnera la population d'Equatoria vers le Caire.



Henry Morton Stanley en 1890

Stanley s'y installe et se remet de son épuisement, loue la villa Victoria, rédige en quelques mois "Dans les ténèbres de l'Afrique", ajoute au récit les télégrammes de félicitations reçus à Zanzibar, les comptes de l'expédition, les cartes des tracés relevés. Il vient à nouveau de traverser l'Afrique de part en part, cette fois de l'ouest vers l'est. Trois ans plus tôt, Arthur Rimbaud lui aussi était au Caire, hôtel de l'Europe, avec son domestique Djami Wadaï. il imaginait gagner Zanzibar ou le Tonkin, ce sera l'Abyssinie, son exploration de l'Ogaden, publiée par la Société de géographie de Paris, plus tard la chute de cheval à Diré Daoua, la gangrène, la crie sur la jambe. Plus au sud, Savorgnan de Brazza continue cette année-là de 1890 à explorer les affluents du fleuve Congo, sur lequel navigue alors, à bord du vapeur "Roi des Belges", le capitaine Joseph Conrad, lequel écrira à son retour en Angleterre "Au coeur des ténèbres".

Stanley regagne lui aussi l'Angleterre, abandonne sa nationalité américaine pour reprendre sous son nom d'emprunt la britannique. Il sera plus tard anobli par la reine Victoria. Lord Stanley s'était en 1904, un an avant Jules Verne et Savorgnan de Brazza. Quant à l'homme qui a rendu possible tout cela, et la rencontre du Gallois et de l'Ecossais, de Livingston et de Stanley, le directeur du "New York Herald", James Gordon Bennett Jr, qui s'est associé au "New York tribune", il repose dans le cimetière de Passy, après avoir flambé sa fortune entre la Cinquième Avenue et les Champs-Elysées, annotant à bord des paquebots transatlantiques les textes des meilleures plumes de son journal, Stanley en Afrique centrale et Mark Twain en Amérique centrale. James Gordon Bennett Jr avait été le premier à parier sur le télégraphe et la pose des câbles sous-marins, qui ouvraient l'ère des récits de reportage à la première personne publiés chaque jour à la une, et du grand roman d'aventure sans fiction des explorateurs.


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